Depuis quelques semaines au Laboratoire d’archéologie expérimentale de Mayen, des archéologues s’activent à produire du cuivre tel que le faisait il y a plus de trois millénaires les métallurgistes de l’âge du bronze dans les Alpes autrichiennes. Du cuivre métallique est obtenu à partir de malachite (un simple oxyde de cuivre) ou de chalcopyrite (un sulfure de cuivre et de fer plus complexe) selon un procédé que les archéologues espèrent reconstituer le plus près possible de la recette originale de l’âge du bronze. Chaque semaine durant un mois, le même procédé de réduction du minerai est répété, avec quelques variantes près, de façon à obtenir au final plusieurs échantillons qui seront analysés en laboratoire pour déterminer si le ratio isotopique du cuivre a été modifié lors de la production.
Résumer tout le labeur de la semaine avec « réduction de malachite et de chalcopyrite » est exact, mais aussi très réducteur, puisqu’un bon nombre de manipulations préalables sont nécessaires. Concasser le minerai, séparer la matte (produit intermédiaire enrichi en cuivre) des scories, concasser et moudre la matte, concasser les scories qui seront réutilisées. Et ces opérations ne comptent que pour le minerai lui-même. Il faut aussi couper du bois pour le combustible, coudre et entretenir les soufflets pour ensuite attiser le four, préparer de l’argile pour réparer le four après chaque épisode de fusion, mouler et cuire des creusets ainsi que des tuyères en argile, etc.
C’est long, très long. Et les mêmes opérations doivent être répétées jour après jour. Après avoir moulu des scories en grains plus fins que du sable pendant des heures, on ne s’étonne plus qu’il y ait eu de l’esclavage dans le temps, ou au minimum une division des classes sociales pour s’assurer que la plèbe s’occupe du gros travail pénible. Ces tâches fastidieuses et épuisantes, nous permettent de vivre aux premières loges comment la qualité de vie et la santé de la plupart des humains a diminué lorsque, de chasseurs-cueilleurs, ils sont devenus agriculteurs, pasteurs ou métallurgistes. Rien de mieux que les mouvements répétitifs pour moudre le grain en farine, ou sinon le minerai dans notre cas, pour se retrouver avec des problèmes d’usure aux articulations. Les problèmes de tunnel carpien sont donc bien liés au mode de vie sédentaire, mais ils sont apparus largement avant l’invention de l’ordinateur! Sans compter toutes les activités que l’on fait au sol, penché assez bas, avec juste assez de sollicitation au dos pour vous laisser des courbatures en soirée. Même qu’en soirée, on se s’entraînait au lance-sagaie comme les chasseurs-cueilleurs. Pour se reposer, quoi. Un passe-temps d’archéologue.
Mais comme pour le tir au lance-sagaie, certaines parties du travail de métallurgie réveillent l’enfant intérieur qui sommeille en chaque archéologue : former des balles de fumier pour contenir et compacter le minerai de chalcopyrite à rôtir, souffler à travers un long tuyau pour attiser les flammes du four à fusion, ou encore réparer le four lézardé lors de l’expérience précédente en le plâtrant avec de l’argile neuve (et parfois assez d’enthousiasme pour une bataille de gadouille).
Réduire de l’oxyde de cuivre (notre malachite) en cuivre s’avère en général assez aisé, surtout en comparaison avec le travail de Sisyphe qu’est la réduction du sulfure de cuivre (notre chalcopyrite). Sauf que le but de l’archéologie expérimentale n’est pas seulement de réduire le minerai en métal, mais bien de le réduire comme le faisaient les artisans de l’époque, et d’ainsi obtenir du cuivre et des scories semblables à ceux trouvés lors de fouilles archéologiques. Peu importe si la recette est efficace ou non, nous semble loufoque ou pas (un four carré plutôt que circulaire, vraiment ?), le but est de reproduire cette recette autant que possible. Et bien sûr d’ensuite documenter les résultats aussi minutieusement qu’humainement possible.
D’ailleurs, « documenter aussi minutieusement qu’humainement possible » n’est certainement pas une exagération. Par exemple, si la malachite est concassée très finement, on peut obtenir des billes de cuivre pas plus grandes que 100 micromètres (0,1 mm) de diamètre, donc à peine visibles à l’œil nu. Les premiers métallurgistes jetaient probablement ces minuscules billes de cuivre plutôt que de s’embarrasser à les séparer des déchets inutilisables, mais pour les besoins de l’expérience, nous essayons de toutes les récupérer pour les peser et ainsi calculer exactement le rendement en cuivre (même si l’erreur interne de la balance doit être plus élevée!).
Pour approximer le procédé original, les matières premières utilisées en archéologie expérimentale doivent être aussi authentiques que possible, et sur ce front nous sommes particulièrement chanceux puisque le minerai de chalcopyrite provient des mêmes mines alpines qui étaient exploitées à l’âge du bronze. Le minerai de malachite vient plutôt du Congo, tandis que notre combustible consiste en bois de sapin et (bizarrement) de séquoia. Écologistes, ne vous inquiétez pas, nous n’avons pas abattu l’arbre nous-mêmes : les bûches nous viennent d’un séquoia déjà déracine d’un musée du coin (sinon, imaginez le temps que ça aurait pris pour abattre un de ces arbres géants?).
Les recherches en archéologie sur la réduction de chalcopyrite en cuivre emploient pour la plupart du charbon de bois comme combustible, mais notre propre expérience utilise plutôt du bois puisqu’aucune trace archéologique de fabrication séparée de charbon de bois n’a été mise à jour dans les Alpes. Notre bois est par contre lentement calciné en charbon de bois dans le four à fusion, de sorte que peu importe ce qui entre dans le four (bois ou charbon de bois), le vrai combustible réduisant le minerai reste tout de même du charbon de bois.
Autre particularité de notre expérimentation, nous réduisons la chalcopyrite en matte puis en cuivre métallique plusieurs fois d’affilée. Nombre d’expériences se bornent à réduire le minerai jusqu’à l’obtention d’un peu de cuivre métallique, mais nous répétons le procédé à deux ou trois reprises pour chaque fois extraire davantage de cuivre. Comme le procédé employé à l’âge du bronze pour obtenir du cuivre n’était en soi pas très efficace, plusieurs cycles de réduction sont nécessaires pour un rendement intéressant (certains archéologues suggèrent que jusqu’à sept cycles sont nécessaires).
Nous avons également eu la possibilité pendant ce mois de visiter les mines romaines de Meurin (à 20 minutes de Mayen) et de se prêter à un autre type d’expérimentation. En effet, Meurin est le lieu d’expérimentations pour moudre du grain à l’aidede meules de différents types (meules celtiques ou meules amovibles des légionnaires romains en campagne). Pour son étude, le musée de Meurin avait besoin de “cobayes” afin de réaliser une petite expérience avec les meules: après s’être un peu entraîné, chacun d’entre nous devait moudre du grain durant 5 minutes pendant que les autres prenaient des mesures (combien de tours de meule réalisés et masse des grains moulus). À terme, ces expérimentations devraient permettre de réaliser une étude statistique sur l’utilisation de ces meules au cours de longues périodes.